Introduction
Narrateur :
En 1859, Frédéric Mistral publie Mireille, son oeuvre capitale : un long poème en provençal. Outre les amours de Mireille, on y trouve cette fameuse légende :
Parti pour faire danser les filles de l’Isle sur Sorgue, le vieux ménétrier Basile par une chaude journée d’été s’endormit à l’ombre sur le chemin de Vaucluse. Apparut une nymphe qui, belle comme l’onde claire, prit la main du dormeur et le conduisit au bord de la Vasque où s’épanouit la Sorgue. Devant eux, l’eau s’entrouvrit et les laissa descendre entre deux murailles de liquide cristal au fond du gouffre.
.... Mais ne racontons pas toute l’histoire... Et revenons à notre Basile.. Regardez-le sur les bords de la rivière.....
Tableau 1 : Ouverture
Basile :
Et voilà, ça va mieux ! Un bon petit repas en bordure de Sorgue, y a rien de tel pour vous réconcilier avec la vie !
Le soleil cogne fort à cette heure du jour mais ici, au pied de la grande falaise de Fontaine de Vaucluse, on apprécie la fraicheur de la belle eau qui coule.
Moi, Basile, ménestrel de père en fils, j’aime prendre la vie comme elle vient. J’ai le temps. Je prends mon temps et je vais me faire un petit somme avant de descendre jusqu’à l’Isle pour faire danser les garçons et les filles des environs.
Mais tout de même, cette Font de la Vallis Clausa m’intrigue. J’aimerais comprendre. Il y a des tas d’explorateurs qui ont cherché à percer ses secrets. Certains y ont laissé la vie mais jamais personne n’est parvenu à toucher le fond et savoir d’où vient cette eau si fraiche, si limpide, sans doute un peu magique.
Le mystère est entier … et il le restera encore car je m’en vais dormir un petit coup !
Tableau 2 : Basile rêve
La nymphe :
Tiens, il a l’air de bien dormir celui-là. Il paraît tout gentil. Je ne vais pas le réveiller. Zip, je vais juste m’immiscer dans son rêve. Où ya d’la gêne, ya pas d’plaisir ! Bonjour Bel Homme, tu m’as appelée ?
Basile :
Euh, non non, je t’ai pas appelée et c’est bien la première fois qu’une belle fille m’appelle « Bel Homme ». Mais qui es-tu, toi, la belle ?
La nymphe :
Je suis la nymphe-gardienne de la Sorgue, j’en connais tous les secrets, et je sais – ne me demande pas comment mais je sais – que tu veux percer le mystère de la Fontaine de Vaucluse. Je peux satisfaire ta curiosité mais faudra que tu paies de ta personne.
Suis-moi. N’aie pas peur, avec moi tu ne risques rien. Eau de la Sorgue, écarte-toi.
Basile :
Ça alors ! Tu dis « Eau de la Sorgue, écarte-toi. » et elle t’obéit.
La nymphe :
Elémentaire, mon cher Basile. Viens, descendons.
Tableau 2 : Basile rêve (suite)
La nymphe :
Ici, vois-tu, on est à un premier palier. C’est là que je me tiens le plus souvent, au milieu de cette prairie et de ces fleurs surnaturelles. C’est mon jardin secret, c’est de là que je veille sur la Sorgue.
Et tu vois ces sept gros diamants ?
Basile :
Ben oui, ils sont énormes, impossible de ne pas les voir.
La nymphe :
Ils me servent à régler le débit. Quand je soulève le premier diamant, je fais jaillir un premier jet d’eau. Si je veux plus d’eau, j’en soulève un autre. Quand j’arrive au septième, l’eau atteint « le figuier qui ne boit qu’une fois l’an ».
Si tu veux un diamant, Basile, tu peux en prendre un, mais … à tes risques et périls
Tableau 3 : La tentation de Basile
Narrateur :
Ils sont vraiment énormes ces diamants, ils doivent valoir une fortune, c’est fou tout ce qu’on doit pouvoir faire avec.
Et, Basile le ménestrel, il n’a pas besoin de ça pour être heureux. Il aime sa vie telle qu’elle est. Hihi, c’est bien connu, l’argent ne fait pas le bonheur.
La nymphe :
Toi Basile, tu ne t’es pas laissé tenter, c’est la preuve que tu as le coeur pur, tu es désintéressé.
Tous ceux que j’ai amenés ici avant toi ont été aveuglés par leur cupidité et n’ont pas flairé le piège : en prenant les diamants, ils ont déchainé les flots et sont morts noyés.
Tableau 3 : la tentation de Basile (suite)
La nymphe : Dis-moi ce qui te ferait plaisir, je veux te récompenser.
Basile :
Grand merci, nymphe belle comme l’eau claire. J’aimerais … j’aimerais descendre plus avant dans les entrailles de la Terre et percer les secrets de cette eau mystérieuse.
Tableau 4 : Le fond de la Font
La nymphe :
Dans les entrailles de la terre,
Facile !
Flots, écartez-vous, et vous les lucioles, au boulot, venez avec nous, éclairez notre chemin.
C’est partiiii, tout le monde descend !
Basile :
C’est fabuleux, fa-bu-leux …
Basile :
On arrive … ça y est … on y est … je suis au fond de la fameuse Font de Vallis Clausa, entouré de grandes murailles d’eau. Je n’ai jamais vu une eau d’une telle limpidité, une eau qui scintille de mille feux, verts et jaunes, émis par les lucioles.
Oh ! Tout resplendit. Tout est calme, paisible et pourtant tout vibre.
Et cette paix, cette paix au plus profond de moi.
Tableau 5 : L’œuf
Basile :
C’est quoi ce courant d’air ? et ce sifflement ? On dirait, … on dirait le mistral qui souffle, mais ce n’est pas possible, on est ici dans les entrailles de la Terre.
La nymphe :
Hihi, tu as raison Basile, c’est bien lui, c’est le mistral, celui que les gens appellent le vent qui rend fou.
Tu vois, il passe par ce trou qui communique avec la surface, c’est le trou souffleur du plateau d’Albion. Quand j’ai arrêté les eaux, il y a eu un appel d’air.
Tableau 5 : L’œuf (suite)
Basile :
Hé que vois-je ? Ce rocher qui obstruait le trou et qui a été déplacé par le mistral, c’est pas un rocher, c’est un oeuf ! un oeuf géant ! Qu’est-ce qu’il fait là cet oeuf ?
La nymphe :
Il attend !
Il attend un homme courageux et vraiment désintéressé qui voudra bien de lui.
Seras-tu celui-ci ? Si tu es arrivé jusqu’ici Basile, c’est que tu es désintéressé mais seras-tu assez courageux pour prendre un oeuf en charge et venir en aide à une âme en peine ?
Basile :
Je ne sais pas si je suis courageux, mais je veux bien essayer.
Tableau 6 : Le soleil opère
Le narrateur :
Péniblement, Basile remonte à la surface avec le gros oeuf tacheté. Il le pose en plein soleil sur l’herbe verte, et s’assied à côté de lui pour reprendre son souffle.
Et devinez ce qui arrive.
Eh bien, ce qui devait arriver ne tarde pas : la chaleur du grand soleil d’été opère et dans un craquement semblable à un long cri diabolique, l’oeuf éclot !
Basile :
Pouahh !!! quelle horreur ! mais quelle horreur ! on dirait une salamandre géante, une sorte de dragon, sa tête est effrayante, son corps est tout visqueux et couvert d'écailles phosphorescentes, ses ailes sont des ailes de chauve-souris.
J’ai jamais vu une bestiole pareille, moi. Mais c’est quoi, ça ?
Tableau 7 : Histoire de la Coulobre
Narrateur :
C’est un bébé-coulobre ! Un pauvre bébé abandonné par sa mère qui a été tuée il y a bien longtemps. Sa mère, une coulobre, hantait les bords de Sorgue, semant la terreur dans sa quête de jeunes gens qui pourraient faire de bons maris pour l’aider à élever son bébé dont le vrai père était un dragon qui l’avait abandonnée tellement qu’elle était laide. Un beau jour, un ermite, un saint homme portant le nom de Véran, réussit à exploser la coulobre à coup de signes de croix et à la projeter dans les plus hautes Alpes près d’un hameau auquel on a donné son nom – Saint Véran – et lui, l’ermite, pour le récompenser, il a eu une promotion, on l’a fait évêque de Cavaillon.
Tableau 7 : Histoire de la Coulobre… suite
La nymphe :
C’est un bébé coulobre !
Pendant près de mille ans on n’a plus vu de Coulobre jusqu’au jour où elle a attaqué Pétrarque ! oui, tu as bien entendu, Pétrarque, le célèbre Pétrarque en personne alors qu’il déambulait le long de la Sorgue en rêvant de sa dulcinée Laure. Sans doute la Coulobre avait-elle pressenti en lui un bon mari.
Basile :
Ça ne m’étonne pas, car bien qu’il vouait un amour platonique à Laure, ce brave Pétrarque aimait beaucoup les femmes mais à vrai dire beaucoup, beaucoup. C’était un chaud lapin !
Le narrateur :
Mais là décidément, non, Pétrarque ne trouva pas la Coulobre à son goût et la tua d’un coup d’épée.
Dans un cri inhumain et comme pour se venger, la Coulobre expira si loin son haleine pestilentielle que Laure, la bien-aimée de Pétrarque, respirant cet air nauséabond mourut de la peste quelques jours après.
Pétrarque ne s’en remit jamais, pas plus que la Coulobre dont on n’a plus entendu parler à ce jour.
Mais voilà, elle a laissé cet œuf !
Tableau 8 : Le dilemme de Basile
La nymphe :
Saint Véran n’en a pas voulu. Pétrarque à son tour a refusé d’être papa. Et toi Basile, que vas-tu faire de ce bébé-coulobre ?
Basile :
Beuhhh, chais pas moi ! chuis qu’un pauvre ménestrel qui va de ville en ville pour distraire un peu les gens.
Ah (criant) Non ! … bébé, non ! ne me regarde pas comme ça ! … pas comme ça, je te dis ! ne me fais pas les yeux doux, tu ne m’attendriras ! non pas moi, pas moi, non vraiment, j’ai pas la vocation !
Oh Bonne Mère, manquait plus que ça ! … Tu me fais de la peine, tu me fends le cœur. Je peux pas t’abandonner.
Tu es tellement laid que tu en es presque beau.
Bah, je finirai bien par m’y habituer. Après tout, moi non plus, je ne suis pas beau ; ce n’est pas une raison on ne peut pas abandonner tous les gens laids, ils ont le droit de vivre comme les autres.
Tableau 9 : La récompense
La nymphe :
Vois-tu Basile, ce bébé-coulobre, j’ai veillé sur lui, je l’ai gardé, protégé dans son oeuf au fond des eaux de la Sorgue. Crois-moi, il te donnera de grandes joies.
Prends soin de lui.
Nourris-le de ton amour et comme la chenille devient papillon, le moment viendra très vite où il effectuera sa métamorphose. Nul n’est maudit à tout jamais !
Ton âme est charitable Basile, tu es un homme désintéressé et courageux.
Regarde, vite, suis le bébé-coulobre, regarde, il va plonger, il est guidé par son instinct. Suis-le, suis-le.
Tu vas voir, l’eau de la Sorgue fait des miracles.
Tableau 10 : La Sorgue fait des miracles
Basile :
C’est pas possible, je rêve : tu plonges coulobre et tu ressors belle damoiselle. Moi c’est pareil, je plonge moche et je ressors tout beau. C’est merveilleux.
Je peux pas garder ça pour moi tout seul. Je dois en faire profiter mes amis.
Oyez bonnes gens, oyez chers spectateurs du feu de Monteux : Qui veut un bébé-coulobre ? levez la main ! levez-la bien haut !
La nymphe belle comme l’eau claire a encore beaucoup de bébés-coulobres à placer.
Vous êtes désintéressés et courageux, vous vous sentez moche et voulez devenir beaux, osez, osez adopter un bébé-coulobre.
Ah, je vois plein de mains qui se lèvent !
Alors envoyez les oeufs de coulobre ! … envoyez ! … envoyez ! … attrapez-les ! … attrapez-les !
Tableau 11 : La leçon de la nymphe !
Le narrateur :
Chers amis, vous avez vu, il faut faire confiance à la Sorgue. Elle a des pouvoirs magiques. Elle est capable de transformer le pire en meilleur. Nous avons toutes les raisons d’espérer. Ne vous laissez pas abuser par les oiseaux de mauvaise augure qui vont se moquer de votre crédulité.
Ayez confiance et soyez attentifs aux présages, aux détails, surtout s’ils paraissent insignifiants ce sont les plus fiables. Tout commence toujours par un détail, déviant, marginal, modeste, souvent invisible pour le plus grand nombre. Sachez les saisir au vol.
L’improbable n’est jamais impossible, c’est de lui que surgissent les meilleures solutions.
Et la Sorgue – oui, la Sorgue – la Sorgue est le vivier du futur !
Tableau 12 : Basile se réveille
La nymphe :
Basile ! Hé Basile ! réveille-toi Basile, tu as vu l’heure ? ouvre les yeux, regarde, regarde, la vie est belle ! le ciel des Sorgues du Comtat est en fêtes pour toi !
Basile :
Waouhhh, j’ai beaucoup dormi. Quand je me suis allongé, il y avait un grand soleil et maintenant je vois des étoiles partout.
Euh, pour l’Isle sur Sorgue, c’est raté pour ce soir, ils danseront sans moi.
J’ai fait un beau rêve : La nymphe, le bébé-coulobre et la damoiselle sont encore bien vivants dans mon coeur et ils me disent que la vraie métamorphose, c’est celle du regard.
Le narrateur :
Mais oui Basile, c’est le regard qu’il faut changer, c’est lui qui va nous faire voir que des choses laides peuvent être belles.
Regardez ce soir, c’est une nuit comme toutes les autres nuits et pourtant, on est heureux ! la vie est belle !